Il y a, dans la déclaration de principe du Front de gauche pour changer l’Europe peu de chose sur les missions réelles de la BCE et une position assez formelle pour qu’elle « soit mise au service des populations et soumise à un contrôle démocratique ».
Tout le monde dit ça et ça ne mange pas de pain.
Il faut rappeler certains faits.
Le contrôle public des Banques centrales est une conquête du Front Populaire (contre l’oligarchie de l’époque, les « 200 familles ») et cela a été confirmé dans le programme du Conseil national de la Résistance à la Libération. Cette filiation historique mérite d’être rappelée dans la campagne des Européennes. Après la guerre, le financement de l’Etat par la Banque de France a permis de reconstruire le pays. La création monétaire a été mise au service de la reconstruction.
Une loi du 3 janvier 1973, à l’initiative de Pompidou et Giscard d’Estaing, interdit à la Banque de France d’accorder des crédits à l’Etat qui… abandonne aux banques son pouvoir régalien de création monétaire. A l’époque, cela a peu d’incidence parce que le système bancaire est majoritairement nationalisé, l’équilibre des comptes publics étant assuré par la croissance des Trente glorieuses. Par contre, dès les années 80 et à partir des présidences Reagan-Thatcher déclarant la guerre à l’impôt, en particulier des plus riches, les déficits publics se creusent, l’endettement de l’Etat se substitue progressivement au prélèvement public. En 1992, pour garantir la viabilité des institutions financières et la lutte contre l’inflation –manière courtoise de désigner la protection des rentiers contre les travailleurs–, l’un des principaux objectifs du traité de Maastricht fut de détacher les banques centrales (la BCE et le Système européen des Banques centrales) des pouvoirs politiques pour les arrimer aux marchés financiers.
Désormais, institutionnellement, ce sont les intérêts financiers et non la démocratie et le peuple qui définissent l’intérêt des états.
La loi n° 93 du 31/12/1993 votée en application de l’article 104 du dit traité « interdit à la BCE et aux Banques centrales nationales d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou tout organisme public ou entreprise publique », éliminant toute possibilité pour l’Etat d’émettre du crédit pour des projets d’infrastructures (tous les investissements publics essentiels pour assurer le « bien public » : transports, éducation,…).
Ce système, en place en Europe, aux USA et dans le monde entier oblige les états à payer des intérêts à des acteurs privés qui ont de l’argent à placer… pour l’usage de leur propre monnaie qu’ils pourraient émettre eux-mêmes sans intérêts !
Ce dispositif confirmé dans le TCE (art. III 181) est repris – on s’en serait douté – dans l’article 123 du Traité de Lisbonne.
Cette règle scandaleuse a contraint l’Etat français à payer 1176 milliards d’euros d’intérêts depuis 1980 au détriment des besoins sociaux et des investissements publics.
Face à la crise écologique que connaît le monde et qui nécessitera, si on veut la résoudre dans l’intérêt de l’humanité et des générations futures, des investissements colossaux, une véritables reconstruction écologique dans les domaines des transports, de l’énergie, de la recherche, de l’habitat, des infrastructures rurales du tiers monde,… il est impératif de revenir sur l’interdiction pour les états d’emprunter auprès des banques centrales, dont elles sont l’émanation, pour des investissements d’intérêt public.
Actuellement, les états empruntent comme des fous sur les marchés financiers. La bulle de l’endettement public va remplacer les bulles financières immobilières, sur les matières premières, avec les mêmes conséquences. Et ce n’est pas le G20 (qui crée les moyens financiers fictifs pour tripler les ressources du FMI) qui modifiera si peu que ce soit ces règles mortifères. La rente potentielle auprès de créanciers mus comme les conquistadors par l’horrible soif de l’or, sera payée si on n’y met pas bon ordre par les générations futures. La situation est d’autant plus scandaleuse que les banques sont recapitalisées par des états surendettés et leurs prêts interbancaires garantis à hauteur du montant du budget de l’état (20% du PIB en France).
Dans sa déclaration de principe, le Front de gauche donne la priorité à l’impératif démocratique et écologique. L’un et l’autre ne peuvent voir le jour dans l’Europe telle qu’elle est avec les pouvoirs oligarchiques d’une BCE indépendante de la démocratie et limitant dans les faits les investissements indispensables à un nouveau mode de développement, réellement durable.
Si on ne met pas en cause ces dogmes la BCE restera en Europe l’outil de la déflation salariale et du fondamentalisme néolibéral d’où le progrès social ne peut qu’être absent.
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Michel de Chanterac